Mardi 17 juillet au théâtre antique, Kikesa, Kalash et Damso partageaient la même soirée. Trois rappeurs aux styles très différents, trois prestations très inégales.

On aurait aimé voir Kikesa plus longtemps.

Parce qu’ils sont frais, et qu’ils se marrent vraiment sur scène.

Les trois Nancéiens gèrent parfaitement les codes du genre, du bandana sur le front à la gestuelle. Mais Kikesa a laissé les guns de côté, trop encombrants, et profite de sa légèreté nouvelle pour sauter librement, pour danser en levant les genoux très hauts, et en s’marrant, toujours.

Aucune gravité outrageusement théâtrale. Trois copains qui font du son, qui travaillent vraiment leurs textes, qu’ont un flow toujours très propre (même ma mère comprenait tous les mots), et des instru qui marchent très bien. J’ai entendu « rap de blanc ? » peut-être, mais même cela est assumé : « j’suis l’plus noir de tes potes blancs » dit-il.

En fait, Kikesa est du côté de la vie, « on va soulever ta maman » veut simplement dire fouttre le bordel, aucun viol derrière leurs images, aucun pathos ; et c’est pour qu’on les aime.

Alors, quand ils ont dû laisser leur place à Kalash au bout de 20 minutes, j’ai pas pu m’empêcher de soupirer.

Kalash (Blam blam tremble !)

Kalash n’a pas chanté hier soir.
Je ne dis pas qu’il n’était pas présent. Je ne dis pas qu’il n’était pas sur scène.
Je ne dis pas non plus qu’il n’a pas produit des mots (des sons ?) avec sa bouche.

Je dis que Kalash hier, s’est servi de tout un tas de techniques connues des hommes de scène pour se faire applaudir à moindre frais.
Ces techniques « d’implication du public » – comme il en existe pour la « mobilisation salariale » – servent avant tout celui qui les utilisent.

Ils font écran d’avec la réalité : derrière l’énergie folle dispensée par Kalash pour animer la foule, il n’y a pas une chanson qui n’ait pas été « polluée » par une de ces animations forcées :
– Kalash nous a fait lever les bras, puis nous a dit de les bouger en cadence, de gauche à droite.
-Il a demandé à ce que chacun foute le bordel.
-Il a demandé à la fosse de s’accroupir, puis de se lever brusquement et de sauter.
-Il a exhorté « on est des champions ! » le surlendemain du mondial.
-Il nous a demandé si on était « chaud », et pour définir quelle partie du public l’était plus que l’autre, il nous a séparé en différents groupes, équipe contre équipe : à qui criera le plus fort.
-Pour finir, il est descendu vers la fosse, y a tendu une main la nuque renversée, et a attendu les caresses comme l’aurait fait un messie.

Tout cela se passait avec, en fond sonore, de faux coups de feu lâchés à répétition par son DJ ; des bruits de sirènes saturée, et de verre qui se brise, parce-qu’il n’y a qu’une chose importante pour Kalash : c’est d’être dur et de le montrer. Il nous a fouttu malgré nous une kalachnikov entre les mains, et nous a demandé d’être content.

Tous ces trucs, sortis de sa boîte à trucs, en plus de faire penser à des cours d’aérobic sont complétement auto-centrés ! A la vérité il ne nous donne rien ; il ne produit rien. Il ne fait qu’exciter une foule qui ne demande qu’à l’être, car le concert offre cet espace et ce temps où l’on peut bouger brusquement, faire de grands gestes avec les bras et crier plus fort que ce qui est correct en société.

J’en veux pour preuve cette adresse qui est passée inaperçue : « Sénégal! Tunisie! Maroc!…Lyon vous êtes chaaaaaaud ? ». On s’est douté que, même s’il s’était trompé, il parlait de nous. Au fond on s’en cognait un peu de ce qu’il disait : il aurait pu aussi bien nous demander de répéter l’alphabet en criant chaque lettre, qu’on l’aurait fait avec autant d’enthousiasme.

Donc Kalash c’était pas ça : Ce qui est rassurant, mais aussi très gênant, c’est qu’à la fin de sa prestation, il n’était pas encore parfaitement sorti de scène lorsque la fosse s’est mise à scander « Dam-So !» « Dam-So !»  « Dam-so !»…comme quoi personne n’était vraiment dupe.

On peut blâmer Kalash de ne pas avoir été musicalement très consciencieux, en tout cas il a fait son taff : Damso est rentré en triomphe.

C’était d’autant plus fort qu’il est entré serein : face à l’exubérance de l’artiste précédent, sa posture tranquille en imposait bien plus.

Terrifiant par son assurance, ses textes nous rapportent à notre premier amour ; à notre première tromperie. Damso parle de lui aux travers d’événements quotidiens, même, parfois, il parle de ses faiblesses, et ça me le rend sympathique.

Il parle aussi de sensations complexes, de sentiments de présence-absence au monde, que la solitude créé, et que la proximité d’avec la foule n’arrange en rien.

Si  j’devais vendre Damso à mes grands-parents, je dirais qu’il incarne une finesse de la vulgarité.

La question de la vulgarité, elle est essentielle selon moi, si l’on veut comprendre l’engouement qui existe vis-à-vis du rap (genre musical le plus écouté en France depuis 2015). Moi, sur cet espace qui m’est proposé j’ose pas écrire « c***lles », ni « ch***e ». Je revois ma mère me dire qu’il ne faut pas prononcer de gros mots, alors je cache tout ça et je mets des petites étoiles.

Lui, il est droit sur une estrade, et il les chante. Tous les mots, toutes les images interdites, il les porte en bandoulière et les donne à la foule.

Il y a, dans l’usage d’un langage violenté, l’accomplissement d’un acte politique et d’un acte poétique. Il y a réappropriation du langage, qu’on enlève des mains des professeurs et qu’on place à l’abri des dictées.

C’est par ce nouveau langage, où il est possible de dire « pute » sans rougir, où l’on peut mettre des « -rais » après des « si » que se créé une communauté … une fraternité à faire pâlir nos frontispices municipaux.

Moi, ce que j’ai vu à ce concert, c’est une remise en question des normes de politesse, et de politiquement correct. Evidemment que l’on peut s’offusquer de la misogynie de tel couplet, et de l’homophobie de tel autre. Mais tout cela a lieu dans un espace propre à la fête, un des derniers où, subsistent encore quelques relents de liberté véritable (en son sens de folie). Un lieu ouvert aux chamboulements, où les frontières de l’inacceptable se voient repoussées, renversées…

Et puis on se permettra de critiquer la discrimination culturelle, quand on aura fait disparaître toute discrimination institutionnalisée dans notre société -salaire égale, contraception partagée, non-épilation ou épilation réciproque, toussatoussa…

Lazhar